Je ne suis pas habitué à me livrer, comme ça, sur demande. A raconter tout ce qui me définit parce que vous l'avez désiré. Je vais le faire, ne vous en faites pas; je sais que parfois tout ne se plie pas selon ma volonté. Vous voulez connaître ma vie, de mon enfance à aujourd'hui ? Alors soit. Je vais vous la raconter.

Je suis né le 27 février 1990 dans l'Upper West Side, à New York. Un enfant de l'hiver. Ma mère, Rosie Pattinson, son nom de jeune fille, m'a donné le nom d'Orion, décidant que je ne serai pas comme les autres. Mon père, John Leach, était au travail lorsque ma mère a accouché. Oui, il était en réunion. "Le travail avant tout, mon fils, sans ça tu n'aurais pas de quoi vivre.", n'est-ce pas. J'ai donc débuté ma vie dans un hôpital uppé, dans des bodys hors de prix et des soquettes avec des rubans de soie. J'ai eu l'enfance banale d'un gamin riche. Dans une école privée, des notes plutôt moyennes; j'étais un môme solitaire. Je n'ai jamais vraiment apprécié la présence des autres, personne ne m'y a jamais habitué. J'ai grandi dans notre escalier de marbre, à regarder ma mère pleurer au travers des barreaux tout en gardant un oeil sur la porte, à espérer que mon père rentrerait. Il rentrait, ne vous en faites pas. Mais tard. Il déposait sa malette dans le hall, jetait son manteau à Angelica, notre employée domestique, et allait s'installer dans le fauteuil du salon, un verre de scotch à la main, sous le regard mouillé de ma mère, désespérée. Il la trompait, disait-elle. Il rentrait trop tard, était trop fatigué, sentait le parfum pour femme. Je n'ai jamais cherché à en savoir plus.
Quand je suis rentré au lycée, les choses ont changé. Je me savais différent des autres. Eux étaient toujours groupés, ensemble, à parler, rire, échanger. Ils faisaient partis d'un club et s'y étaient investis, allaient à la fête de bidule samedi soir. Moi je traversais les couloirs, translucide, invisible, à la recherche de ma prochaine salle de cours. Je ne désirai pas leur parler. Ils ne m'intéressaient pas. Trois mois après la rentrée, j'ai tout de même été obligé de m'inscrire à un club. J'ai par dépit choisi celui de littérature, sans vraiment trop aimer lire. Ce n'était pas mon truc. Je n'avais pas de truc, à part celui d'aimer flâner en solitaire. A vrai dire, j'ai choisi celui-ci parce que c'était le plus délaissé des élèves. Après mon arrivée, le club comptait à son actif cinq membres, contre une moyenne de dix-sept pour les autres. Ca m'allait. Je pensais qu'ainsi, je serai moins sollicité, et passerais plus inaperçu. Mais... ce n'est pas franchement ce qui s'est passé. Les quatre autres membres étaient des filles. Je n'ai jamais connu regards plus lourds que les leurs. Quand je tournai la tête pour regarder l'une d'elles, comme nous l'avons tous fait machinalement, je les voyais bomber la poitrine, sourire bêtement, baisser légèrement la tête et se recoiffer en me lançant des regards pleins de sous-entendus. J'avais bien remarqué que les nanas de ma classe faisaient des choses similaires, mais ce n'était pas aussi... flagrant. Je les intéressais; elles cherchaient à me séduire. Je me contentais toujours de leur lancer un regard blasé, et je me reconcentrais sur ma feuille, mollement. Ce n'est qu'en milieu d'année, lorsque Stecy Johnson m'a invité à sa soirée d'anniversaire, que j'ai réellement pris conscience de mon pouvoir de séduction. Lorsque je suis arrivé, j'étais seul. Bien évidemment. Et tous les regards, masculins ou féminins, se sont tournés vers moi. Envie, jalousie, méchanceté, haine, amour, curiosité, allez savoir. Il y avait de tout. Mais... c'était moi qu'on regardait. La reine de la soirée pris mon blouson pour le mettre avec les autres, et me proposa un tour de la maison, pour me faire visiter. Je pensais que c'était ainsi que les choses se faisaient, dans ce genre de petites sauteries. Me servant un verre, je la suivis, le buvant à petites gorgées. La salle de bain, super, les toilettes, super, la chambre de ses parents, super, celle de son frère, génial, et puis la sienne. Contrairement aux autres pièces, elle referma la porte derrière elle et la verrouilla. Comprenez-moi, je me suis senti un peu bête, mon verre de ponch à la main, avec une blondasse qui commençait à se désapper. "T'es vraiment trop mignon, Orion" et la voilà qui s'approchait de moi en prenant cet air langoureux imité d'une mauvaise actrice de sitcom. "Ca fait trop longtemps que je me retiens de faire ça" je n'ai rien eu le temps de dire qu'elle avait déjà ses lèvres sur les miennes. Non, ce n'était pas mon premier baiser. J'avais eu quelques insignifiantes copines auparavant, ne les gardant pas plus de quelques semaines, voire quelques jours. Acceptant sans mal mon sort, je me laissais entraîner, reposant sagement mon verre sur sa table de nuit.
J'ai pensé quelques jours plus tard qu'elle s'était en réalité fichu de moi. Stecy était de ces filles cherleaders, bien faite, blondes et mignonnes, qui ont tous les joueurs de foot à leurs pieds. J'ai pensé qu'elle avait fait un pari, et qu'elle l'avait gagné. Mais j'ai repensé ensuite à ladite soirée, et je me suis dis qu'on ne passe pas toute sa soirée d'anniversaire au lit avec le même type, à refaire deux, trois, quatre, cinq, six fois l'amour avec lui, en s'endormant comme un bébé contre son torse. Les regards des autres filles au lycée avaient encore changé, après ça. J'étais devenu Orion, celui qui avait rendu Stecy folle d'amour. Et plus tard, j'ai même évolué en Orion, celui qui rendait les filles folles d'amour. Alors j'ai décidé que ça serait comme ça. Si le Ciel a décidé que je me viderai les bourses toute la sainte journée avec toutes les minettes des environs, alors soit ! Qu'il fasse ce qu'il veut de moi. Et maintenant que je pars à l'université, et en plus à Miami, je sens que tout ça va être bien plus intéressant.